Le stress est avant tout une affaire de représentation. Il se nourrit de l’angoisse devant la difficulté davantage que de la difficulté elle-même. Dans bien des cas, nous stressons parce que nous percevons l’obstacle comme insurmontable – alors qu’il ne l’est pas – tout en sous-estimant nos propres ressources.
C’est pourquoi le travail sur soi, le raisonnement, l’organisation, sont des armes très efficaces. Ce qui aide vraiment ? Savoir reconnaître son ennemi, comprendre pourquoi nous perdons nos moyens, apprendre à gérer son temps, à hiérarchiser et, surtout, reprendre confiance en soi.
Mais tout le monde n’a pas une âme de guerrier ! Plutôt que d’affronter le stress, certains préféreront le contourner, le tenir à distance. Relativiser, lâcher prise, cesser de vouloir être parfait en toutes circonstances, prendre le large, ramener son propre niveau d’exigence à des hauteurs raisonnables, cela aide aussi.
Et si rien ne marche ? Il ne faut pas hésiter à chercher de l’aide. Un stress chronique peut avoir de graves répercussions psychiques et physiques. Le médecin traitant est le plus compétent pour faire le tri entre des symptômes bénins ou plus préoccupants.
Une fois qu’un problème est résolu, la solution apparaît comme évidente. Il suffisait de calmer le jeu pour qu’elle apparaisse. Pourtant, sous l’effet du stress, la tête comme une cocotte-minute, il est difficile de se poser les bonnes questions et de réagir à bon escient. Quelques pistes pour y parvenir.
Qu’est-ce qui ME stresse ? Un préalable pour pouvoir agir et s’adapter : repérer à l’avance les situations potentiellement stressantes ou au moins les reconnaître lorsqu’elles apparaissent.
Le Centre d’étude du stress humain de Montréal utilise pour cela l’acronyme CINE.
Chacun, selon sa sensibilité et son histoire, est plus ou moins vulnérable à l’un ou l’autre de ces déclencheurs.
c = contrôle faible : Je stresse surtout lorsque ce qui m’arrive n’est pas sous mon contrôle.
i = imprévisibilité : Je stresse surtout devant l’inattendu.
n = nouveauté : Je stresse surtout lorsque je ne peux pas m’appuyer sur une expérience antérieure.
e = ego menacé : Je stresse surtout si je sens que les autres ne me font pas confiance.
Une des fonctions intellectuelles les plus utiles pour rester serein est le discernement, expliquent Christophe Massin et Isabelle Sauvegrain, psychiatre et médecin du travail(1).
Le discernement nous aide à écarter ce qui est sans importance et à choisir au sein de la réalité (par nature chaotique et foisonnante) les éléments pertinents.
Mais cette faculté n’est pas si facile à exercer dans notre société contemporaine : « Nous sommes marqués, façonnés par la primauté du faire. Chez nous, le savoir-faire, le que faire, le quoi faire, omniprésents, tendent à court-circuiter le temps initial de la réception. »
Résultat : beaucoup de temps et d’énergie perdus – et de stress ! – à vouloir répondre trop vite, sans accepter l’ensemble des signaux qui nous sont envoyés.
(1) Réussir sans se détruire, éd. Albin Michel, 2006
À réagir trop vite, on mélange les faits et leur interprétation, on « se fait des films ». Le glissement vers le stress négatif s’opère, pour les auteurs Christophe Massin et Isabelle Sauvegrain, « dès que nous transformons, sans preuve à l’appui, un possible en certitude, et que nous nous crispons sur celle-ci comme une vérité absolue ».
De même, le discernement nous manque parfois pour évaluer justement les tâches qui nous reviennent, celles qui sont de notre compétence, de notre responsabilité – et les autres. Et cela aussi bien dans la vie professionnelle que personnelle.
Chacun s’épargnerait beaucoup de stress en se posant systématiquement les questions suivantes devant une situation :
« Est-ce à moi d’agir ? Est-ce que j’en ai les moyens ? Est-ce le moment opportun ? » Le schéma ci-contre montre que ce n’est pas l’action ou l’inaction qui sont sources de stress, mais une prise de décision sans discernement.
Le stress monte pour celui qui n’agit pas alors que c’est à lui de faire, qu’il en a les moyens et que c’est le moment opportun. Mais il se relance aussi pour celui qui agit alors que ce n’est pas à lui de faire, qu’il n’en a pas les moyens, et que le moment n’est pas bien choisi.
Personne n’ignore qu’il vaut mieux gérer son temps, anticiper, hiérarchiser les priorités pour ne pas être débordé et pouvoir se poser les bonnes questions. Mais par où commencer ? Quelques conseils issus des travaux de Philippe Corten, professeur à l’école de santé publique et à l’Institut du travail de l’Université libre de Bruxelles.
Séparer chaque moment-clé par une activité fixe et simple : elle ponctuera matin, midi, fin d’après-midi et soirée. Un événement court qui marque la journée de façon systématique : la pause-repas bien sûr, mais aussi un intermède au café, un trajet entre le domicile et le travail, aller chercher les enfants… Ces moments ritualisés créent des repères, structurent la journée et rassurent.
Anticiper ses actions : chaque soir, penser rapidement à ce qu’il nous faudra faire le lendemain, mais aussi avoir des projets extra-professionnels pour la semaine prochaine, pour plus tard. Cela structure l’activité, l’organise. Et stresse moins.
Se donner du temps… à soi : constamment envahi et sollicité, l’individu finit par étouffer et augmente son stress. Comment y remédier ? Avec une « bulle », qui servira à reprendre son souffle : au moins quinze minutes, pour soi, et avant 23 heures. Des mini-bulles peuvent également prendre place dans la journée. Le cycle de vigilance est d’une heure trente. Entre deux cycles, expirations profondes et vraie coupure seront les bienvenues.
Hiérarchiser : il ne faut pas se laisser distraire lorsqu’une nouvelle tâche apparaît. Prendre le temps de hiérarchiser, de faire bien, afin d’être dans le présent et non dans l’ailleurs. La nouvelle mission doit être analysée sur le « quand » et le « comment » on va la réaliser. Ainsi, elle nous stressera moins et apparaîtra au bon moment, lorsque nous l’aurons calmement décidé.
Affronter, s’adapter, rationaliser : cela convient à certains d’entre nous - mais pas à tous. Plutôt que de faire face, une voie alternative est de se construire une nouvelle hiérarchie des valeurs.
C’est le message général de la méditation de pleine conscience, qui s’inspire de l’enseignement bouddhiste (sans reprendre son contenu spirituel). Elle favorise l’acceptation de ce qui est, le recentrage sur l’instant présent, sans jugement, sur ses sensations corporelles, émotionnelles, sur le contenu de ses pensées.
La méditation de pleine conscience a été utilisée depuis longtemps dans le cadre d’un accompagnement médical de la douleur et du stress. Aujourd’hui, des psychologies cognitivistes l’utilisent comme une technique de thérapie, la MBCT (mindfulness based cognitive therapy(1)) notamment pour chasser les ruminations caractéristiques de la dépression. Mais c’est aussi devenu une pratique de bien-être personnel.
À quel stressé convient cette pratique ? La méditation sur ses sensations, ses émotions, ses pensées, y compris négatives, a pour objectif de créer du détachement, d’apprendre à se protéger de la réactivité, du jugement immédiat qui génèrent du stress dans la vie courante. Les pratiquants disent que la méditation améliore leur humeur générale, favorise la concentration, rend plus tolérant et indulgent envers soi-même et les autres. Elle convient bien aux écorchés vifs, aux éruptifs, à tous ceux qui réagissent au quart de tour.
C’est une méthode de choix pour ceux qui ressentent le besoin de prendre soin d’eux-mêmes, de faire baisser la pression des exigences, de s’accepter comme suffisamment bons et compétents.
Comment pratiquer ?
La pleine conscience est considérée comme une qualité humaine qui se cultive par la méditation. Le programme de la MBSR (mindfulness-based stress reduction) se compose de huit séances hebdomadaires collectives assez longues (2 heures à 2 heures 30) sous la conduite d’un instructeur. On médite assis, en portant attention à sa respiration, à son corps, aux sons, à ses pensées. La méditation est suivie d’échanges et de commentaires des participants. Après une initiation, la pratique se prolonge par des exercices quotidiens de 45 minutes et peut devenir beaucoup moins formelle.
Pour les tenants de l’ACT (acceptance and commitment therapy (2)), la raison principale de notre mal-être vient de la croyance fausse qu’il faut balancer par-dessus bord les pensées et les émotions négatives pour vivre bien. « Selon la façon dont nous l’accueillons, la tristesse ressentie à la perte d’un être cher peut nous ouvrir le coeur ; nous sentir vulnérable peut nous aider à nous reconnecter avec les autres ; reconnaître nos doutes peut adoucir notre âme », écrit Steven C. Hayes, inventeur de l’ACT, dans la préface de son ouvrage Faire face à la souffrance. En d’autres termes, il faut rompre avec la façon de penser qui fait du « gagnant » qui vole de « défi » en « challenge », un modèle à suivre.
Certes le stress n’est pas une maladie, mais il peut affecter durablement notre organisme. En cas de stress aigu, notre corps réagit fortement. Il libère une décharge d’adrénaline, ce qui stimule les fonctions cardiaques et respiratoires. Il oxygène le cerveau, ce qui accroît la vigilance et les fonctions cognitives. Nous sommes parés pour agir ! Mais cette cascade de réactions physiologiques n’est positive que sur un temps court. À la longue, si le stress devient chronique, l’organisme s’épuise et un ensemble de symptômes diffus apparaissent.
Si le sujet de la santé mentale est loin d’être un tabou chez les jeunes générations, il n’en est pas toujours de même pour nos aînés, qui tendent pour certains à garder leurs tourments pour eux. Pourtant, le stress chronique fait partie des maux psychiques qui peuvent être soulagés, du moins si l’on ose demander de l’aide.
Chez les seniors, l'arrêt de l’activité professionnelle entraîne parfois un sentiment de perte de sens et une exacerbation des angoisses existentielles. Le stress et l’anxiété sont fréquents et peuvent conduire à une véritable détresse émotionnelle. Selon l’Organisation mondiale de la Santé, plus de 20% des plus de 60 ans souffrent d’un trouble de santé mentale ou neurologique, il y a donc un véritable sujet.
« J’ai mal au dos, je dors mal, je pleure pour un rien… ça doit être le stress. » C’est possible, mais pas certain. Un échange avec votre généraliste pourra confirmer votre sentiment, vous orienter vers une aide appropriée, ou débusquer une maladie sous-jacente. Dominique Delfieu, longtemps généraliste à Paris, actuellement médecin pour le Samu, passe en revue les sujets à aborder.
Le mal de dos peut provenir de tensions musculaires dues au stress : des douleurs dont il est difficile de se débarrasser sans kinésithérapie, anti-inflammatoires ou antalgiques. Migraines et maux de tête (céphalées de tension) à répétition sont d’autres douleurs chroniques liées au stress. Non soignées, elles entraîneront transpiration et hyperventilation. Là aussi, le médecin généraliste prescrira des médicaments appropriés.
Constipations, diarrhées, brûlures d’estomac… Des symptômes aggravés par une alimentation déséquilibrée et les repas pris sur le pouce. Faire une vraie pause, ne pas manger à toute vitesse, ne pas avaler n’importe quoi, éviter les graisses : autant de conseils rarement suivis et pourtant utiles dans la gestion du stress et la prévention des troubles intestinaux.
Le stress seul ne va pas provoquer un infarctus ou un accident vasculaire cérébral. Mais sur un terrain sensible (absence d’activité sportive, usage de tabac, surpoids, alimentation déséquilibrée), il favorise des variations de la tension artérielle, des palpitations ou le mauvais cholestérol. Une consultation pour stress est l’occasion de parler prévention des risques.
Les médicaments peuvent être utiles, mais prendre antalgiques, anti-inflammatoires ou anxiolytiques sans modifier son mode de vie ou son comportement ne changera rien. Le dialogue avec son médecin est essentiel. À l’inverse, parfois, respirer ou faire du sport ne suffit pas.
Difficulté à s’endormir, réveil nocturne, insomnies, cauchemars… Le matin, au réveil, le corps est déjà épuisé. La médecine n’a pas de remède pour empêcher l’organisme d’être fatigué. Vitamines et compléments alimentaires repousseront temporairement le problème. Les anxiolytiques peuvent ponctuellement soutenir un patient. Des difficultés à répétition doivent inciter à consulter un spécialiste du sommeil ou à faire enregistrer son cycle à l’hôpital.
Il est normal de partager ses angoisses et ses doutes avec son médecin. La relation de confiance construite sur plusieurs années permet au praticien d’évaluer la gravité (ou non) des symptômes, de les replacer dans un contexte individuel (antécédents médicaux, événements de la vie, etc.). Il éliminera les causes organiques. Il est aussi compétent pour orienter vers un psychothérapeute, par exemple.
Source : Fondation APRIL, Santé, Des Stress et moi (2015)