Une personne qui dort peu toutes les nuits et qui ne s’en plaint pas n’est pas un insomniaque, c’est un court dormeur. Une personne qui ne souffre pas des conséquences de ses difficultés d’endormissement ou de ses réveils nocturnes n’est pas un insomniaque, c’est un mauvais dormeur. L’insomnie peut aussi être liée à des difficultés passagères ; on parle d’insomnie aiguë ou d’adaptation. Une fois que ces problèmes trouvent des solutions, le dormeur recouvre un sommeil de qualité. Techniquement, les spécialistes parlent d’insomnie chronique lorsque la durée du sommeil est au moins réduite à 6,5 heures plus de trois fois par semaine depuis plus d’un mois. Mais le principal critère est subjectif : est insomniaque celui qui souffre de dormir trop peu ou mal. Souvent, la perspective de ne pas trouver le sommeil, ou de se réveiller avant l’heure ou de multiples fois dans la nuit, est synonyme d’une grande détresse. Le jour s’ajoutent la fatigue, la difficulté pour se concentrer et un manque de motivation. La souffrance est si présente que certains organisent toute leur vie en fonction de leurs difficultés de sommeil, et cela pendant des dizaines d’années. Fréquente à tel point qu’elle est considérée comme normale pour certains, l’insomnie est généralement minimisée par l’entourage. Bien que ce soit le trouble du sommeil le plus fréquent, les insomniaques se sentent très seuls, n’osent pas en parler, endurent en silence des nuits chaotiques.
À chacun son insomnie ! L’insomnie est rarement causée par un seul facteur. Nous parlons d’insomnie secondaire quand elle est le symptôme d’une autre maladie ou d’un autre trouble. La liste est longue : maladie respiratoire, cardiaque ou digestive, trouble douloureux, trouble psychotique, trouble anxieux, trouble de l’humeur, démences. Elle peut être engendrée par d’autres troubles du sommeil : apnées, cauchemars, narcolepsie, syndrome des jambes sans repos. Par contre, l’insomnie est fréquente et physiologique au moment de la grossesse ou de la ménopause.
L’insomnie du dimanche soir est assez répandue. Anticiper tout ce qui nous attend la semaine prochaine est trop excitant pour induire le sommeil. Mais ces difficultés d’endormissement peuvent poindre le bout de leur nez la dernière nuit de la semaine, même si celle à venir est calme et ne génère aucun tracas.
Cela peut s’expliquer aussi par les grasses matinées, les siestes ou soirées prolongées qui perturbent les rythmes de l’horloge biologique. Deux jours suffisent à nous décaler et nous poussent à consommer des excitants dès le lundi matin.
Effectivement, l’insomnie est aussi causée par une consommation excessive de certaines substances : café, boisson stimulante, drogue, tabac ou médicaments antiasthéniques. Une mauvaise hygiène du sommeil, des problèmes de rythmes ou un environnement peu propice au sommeil peuvent en être la source. Certains médicaments peuvent aussi causer des difficultés d’endormissement.
Une méconnaissance de ses besoins personnels de sommeil (son chronotype) peut être en cause. Un couche-tard se forçant à s’endormir de bonne heure éprouvera de fortes difficultés pour trouver le sommeil. De même, un court dormeur s’efforçant de dormir plus que ses besoins pourra présenter des symptômes d’insomnie. Il peut aussi se révéler ardu de s’endormir sur commande chez les personnes dont les rythmes changent souvent, par exemple chez les travailleurs postés.
Mettre plus de temps que d’habitude pour s’endormir, se réveiller plusieurs fois dans la nuit de peur de manquer le réveil, avoir les yeux ouverts des heures avant que sonne le réveil est fréquent dans l’attente d’événements stressants, positifs ou négatifs. Le stress augmente le taux de cortisol qui est une substance stimulante. Un fort taux empêche la mise en route du sommeil lent.
Cette réaction est parfaitement adaptée. Quand nous rencontrons des problèmes dans la vie, il est biologiquement préférable d’empiéter sur notre sommeil pour trouver des solutions. L’insomnie serait ainsi un comportement qui a été sélectionné au cours de l’évolution des espèces : quand nous sommes en danger – ou que nous estimons l’être –, il peut être vital de ne pas dormir.
Bien que classée dans les troubles du sommeil, l’insomnie est surtout un trouble de l’éveil. Ce n’est pas le tout d’être fatigué, encore faut-il être suffisamment calme, ne pas être trop excité, ni trop éveillé pour s’endormir. Tout le paradoxe est là. Les insomniaques croient souvent qu’ils ont perdu leur faculté à dormir, alors qu’en fait, ils ont un excès d’éveil.
Le stress, l’anxiété ou la dépression sont sources d’insomnie. Mais, petit à petit, l’insomnie qui était la conséquence devient elle-même la cause de ces états psychologiques, elle nous inquiète, nous stresse ou nous déprime.
Au même titre que les histoires de vie fragilisent le sommeil, c’est finalement notre manière de penser, d’anticiper et de réagir à l’insomnie qui nous tient éveillés. Nous parlons alors d’insomnie psychophysiologique ou d’insomnie primaire. Ce type d’insomnie s’installe dans la vie du dormeur, sournoisement, étape par étape.
Pour éviter que l’insomnie s’installe, deux grands principes sont de rigueur : garder des rythmes réguliers et accumuler la fatigue. Le piège numéro un est de vouloir se reposer et rester au lit pour chercher le sommeil. Cette solution semble intelligente et logique, mais elle maintient l’insomnie pathologique. En répondant à l’appel de la fatigue, on se force à s’endormir plus tôt, on fait des grasses matinées et des siestes à la moindre occasion.
Résultat : le repos devient dilué sur les vingt-quatre heures et ne permet pas d’offrir un sommeil compact et restreint aux heures de la nuit. Après une nuit trop courte, mieux vaut se coucher et se lever aux heures habituelles et éviter les grandes siestes : le sommeil viendra plus facilement le soir.
Un autre piège est de déclarer la guerre à l’insomnie. Hyperactifs et stressés, nous devons dormir : « Il le faut ! C’est une urgence ! Il faut être en forme le lendemain !» Chercher à dormir, se faire du souci sur ces nuits blanches, s’énerver à l’idée des lendemains difficiles attise notre corps et notre esprit, nous nous maintenons éveillés. Tourner en rond dans son lit, faire des plans sur la comète, vouloir se forcer à dormir n’ont pour seule conséquence que l’éloignement des espoirs d’endormissement serein. Il faut, pour y parvenir, un lâcher-prise à l’opposé de tout état d’énervement et d’excitation. Un bouc émissaire qui prend toute la place Il existe un piège encore plus destructeur : c’est de penser que sans une bonne nuit de sommeil nous ne pouvons pas fonctionner le lendemain. Pourtant, il est tentant d’attribuer à l’insomnie tous nos retards, nos erreurs, nos colères. L’insomnie devient toute-puissante et commence à régir la vie de sa victime. L’image de la défaite devient omniprésente : tous ces trucs et astuces, ces somnifères, ces plantes, l’acupuncture ont été des échecs. Ainsi, beaucoup d’insomniaques perdent espoir et se fabriquent une image très dégradée d’eux-mêmes.
La conséquence première de l’insomnie est la fatigue. L’insomnie rend l’humeur maussade, irritable ou plus sensible au stress. Elle engendre des difficultés au quotidien et nuit à la qualité de la vie. Cette nuisance augmente les risques d’accident et les taux d’absentéisme au travail. Les insomniaques ont une moins bonne santé, moins de vitalité, de moins bonnes relations sociales. Ils sont plus vraisemblablement désavantagés sur le plan des promotions sociales et des salaires. L’insomnie forme un triangle infernal avec la douleur et la dépression. Elle catalyse les douleurs physiques comme morales. Curieusement pour certains, allant de soi pour d’autres, la science n’a pas encore montré d’impacts irréversibles sur les facultés cognitives, comme le raisonnement, l’attention, la résolution de problèmes, ou la mémoire. Pourtant, ce n’est pas l’avis des insomniaques.
L’insomnie chronique est un vrai fardeau pour celui qui en souffre. Il existe des techniques efficaces pour améliorer son sommeil, même quand cela fait des années qu’on le cherche. Ne pas chercher des solutions à court terme En premier lieu, il est conseillé de consulter un spécialiste du sommeil pour inventorier tous les facteurs causant l’insomnie et trouver un parcours de soins adéquat. Face à l’insomnie pathologique, l’essentiel est de ne pas chercher des solutions à court terme. L’insomnie demande une prise en charge complète et assidue qui ne peut faire l’objet d’une simple discussion de quelques minutes au cours d’une consultation médicale. Il existe des moyens de s’en sortir, ou à défaut, d’améliorer le sommeil autrement que par les somnifères, surtout lorsque l’insomnie est chronique. Les techniques cognitivo-comportementales sont recommandées par la Haute autorité de santé française. Ce sont des méthodes naturelles qui demandent un réel effort. Elles réduisent significativement la gravité de l’insomnie, même si elles ne permettent pas de transformer des insomniaques en bons dormeurs.
Sur le moyen terme, elles sont aussi efficaces que les traitements médicamenteux, mais elles gagnent le match sur le long terme, en apportant des bénéfices plus durables que les somnifères.
Les techniques cognitivo-comportementales visent à changer ses habitudes et ses représentations du sommeil. Elles consistent à comprendre les mécanismes de l’insomnie pour les dégoupiller un à un en appliquant des résolutions concrètes : À quelle heure se coucher ? À quelle heure se lever ? Que faire quand le sommeil ne vient pas ? Ces programmes opérationnels durent de 3 à 6 mois. Reprogrammer naturellement son sommeil prend du temps, mais assure une bonne consolidation des nuits. Apprendre à mieux gérer son stress est aussi d’un bon secours pour la plupart des insomniaques, afin de réduire les influences de l’éveil sur le sommeil.
Que vous soyez jeune ou âgé de plus de 65 ans, les solutions pour lutter contre l’insomnie sont globalement les mêmes. Avoir une bonne hygiène de vie est très important à tous les âges de la vie (particulièrement chez les seniors). Aussi, les personnes âgées doivent veiller à être régulières dans leurs heures de sommeil, mais aussi au confort de leur literie.
Comme chez les plus jeunes, la phase “d’obstination” est à bannir, puisque rester dans son lit à tourner pendant des heures n’est vraiment pas constructif dans la quête du sommeil.
Contre les insomnies occasionnelles, rattraper une dette de sommeil les jours de repos ou avoir recours ponctuellement à des plantes ou des somnifères et conserver une bonne hygiène de sommeil peut être une bonne stratégie. Par contre, comment réagir au mieux quand l’insomnie devient chronique ? Garder des rythmes réguliers. Réduire les grasses matinées ou les siestes. Éviter de se reposer dès que l’occasion se présente. Accumuler la fatigue. Rechercher des solutions miracles dans des tisanes, trucs et astuces de grand-mère peut vite conditionner artificiellement les endormissements ; avoir des conditions sine qua non pour dormir est une arme à double tranchant qui, à la longue, peut se révéler contre-productive.
Quand le sommeil ne vient pas, le chercher à tout prix ou l’attendre de pied ferme attise l’éveil et laisse la porte ouverte à la rumination stimulante. A contrario, prendre un livre et porter son attention sur la lecture, quitte à relire cent fois la même phrase, fatigue, réduit les pensées éveillantes, favorise une attente passive du sommeil dans un contexte davantage décontractant et donne plus l’opportunité d’un lâcher-prise, clé des portes du sommeil.
Source : Fondation APRIL, Santé et sommeil Une histoire à dormir debout (2014)